Le procès de Trumpeldor

Les biens culturels historiques peuvent-ils être vendus ?

Un débat existe au sein de nos sociétés concernant la possibilité pour un bien culturel historique d'être considéré comme une marchandise ordinaire et d'être détenu par un propriétaire privé. Un exemple notable est la vente fréquente de squelettes de dinosaures par des musées lors de ventes aux enchères.

Ce débat a lieu également en Israël. Une affaire a défrayé la chronique  judiciaire il y a quelques années (2022) au sujet d’une lettre écrite par Joseph Trumpeldor, combattant mort en héros et inscrit dans la mémoire collective israélienne. Dans cette missive assez courte, la seule connue écrite par Trumpeldor en hébreu, le commandant s’adresse au père d’un soldat mort au combat pour le consoler : « Je comprends la grande douleur qui vous habite, mais sachez que votre fils est tombé en héros pour le peuple juif et pour la terre d’Israël ».

Bref, la première version de l’idée selon laquelle « il est bon de mourir pour son pays… ».

Vente aux enchères

Ce document exceptionnel fût acheté par un collectionneur privé pour 600 USD et  ensuite mis en vente dans une maison aux enchères pour 100.000 USD.

L’Institut Jabotinsky tenta d’interdire la vente, affirmant que le document, probablement volé de ses archives, avait une grande valeur culturelle et historique tant par son contenu que par l’identité de son auteur et était donc incessible.

Le tribunal rejeta ces arguments. Il réprimanda tout d’abord l’Institut en lui reprochant d’avoir été négligent et fait peu cas de cette lettre dans le passé. C’est grâce au collectionneur privé et non au musée que ce document est devenu une pièce historique.  Le tribunal donna ainsi tort à l’Institut et considéra que la lettre bien qu’ayant une grande importance historique, pouvait néanmoins passer dans des mains privées, à la condition qu’elle soit préservée et accessible aux générations futures.

Pour aller plus loin sur cette affaire:

Israeli Court Rules Trumpeldor Letter Can Stay in Private Hands, Haaretz, 2022

Trumpeldor, le combattant manchot

Le nom de Joseph Trumpeldor ne vous dit rien ?

C’est pourtant un personnage central dans la mythologie israélienne. Un combattant entré dans l’histoire de l’Etat d’Israël pour  son héroïsme et sa bravoure.

Il perd un bras dans une bataille

Trumpeldor, né en Russie, a rejoint tôt l'armée russe et participé à la guerre russo-japonaise (1904-1905), où il a perdu un bras et a été capturé par les Japonais. En 1911, il fait son Aliya, fonde la légion juive avec Zeev Jabotinsky, et combat comme commandant d'une brigade juive aux côtés de l'armée britannique pendant la Première Guerre mondiale.

La bataille de Tel Haï

En 1920, Joseph Trumpeldor et une petite unité de la légion juive défendent bravement une colonie juive du Nord de Tel Haï contre des attaques arabes. Au cours de la bataille, les huit combattants perdent la vie.

Avant de mourir, Trumpeldor aurait alors déclaré : « Qu’il est bon de mourir pour mon pays ».

Trumpeldor ou le mythe national du sacrifice

Le personnage devient une icône et la bataille entre dans le récit sioniste.

La référence à Joseph Trumpeldor est partout en Israël : Beitar – acronyme de « Brit Yossef Trumpeldor » (« L’alliance de Joseph Trumpeldor ») – est devenu le nom du mouvement de jeunesse sioniste révisionniste, et une litanie de noms de lieux et de clubs de football et de basket-ball. De nombreuses rues en Israël portent également le nom de Trumpeldor, tout comme un célèbre cimetière de Tel-Aviv. Et la ville de Kiryat Shmona (la « Communauté des Huit »), dans le nord d'Israël, porte le chiffre huit en référence aux huit combattants tués lors la bataille de Tal Haï, dont Trumpeldor.

Le choix de se battre et de mourir plutôt que de se rendre va devenir le mantra de l’héroïsme sioniste dans le Yishouv (le pré-état) et le fondement d'une doctrine militaire et politique israélienne de bravoure – celle de conserver son territoire à tout prix.

C’est ce mythe national du sacrifice qui continue d’être véhiculé chaque année en Israël lors de la  « Journée du Souvenir » (Yom Hazikaron) honorant les soldats tombés pour la patrie (25.460 entre 1860 et 2025) et les victimes du terrorisme (5.229 entre 1851 et 2025) ou plus récemment pour relater la bravoure des soldates de la base militaire de Nahal Oz tuées lors des attaques terroristes du Hamas du 7 octobre 2023.

Lors de la cérémonie de 2025, le chef d’état-major a rendu un vibrant hommage aux soldats tombés pour le pays : « Ces héros nous ont légué un esprit de bravoure et de responsabilité. Nous nous engageons à marcher dans leurs pas », a-t-il déclaré. Le commissaire Levy a salué le courage des forces de sécurité face à l’ennemi. Un haut fonctionnaire du ministère de la Défense, a insisté sur la nécessité de faire vivre l’héritage des héros au quotidien : « Ces noms ne sont pas seulement ceux de martyrs, mais de bâtisseurs d’Israël. Nous devons vivre avec honneur et unité, en leur mémoire. » D’ici l’ouverture officielle du Jour du Souvenir, chaque tombe recevra un drapeau, une fleur et une bougie, perpétuant un hommage vibrant à la mémoire des héros d’Israël ».

Bref du Trumpeldor dans le texte.

Pour aller plus loin sur Joseph Trumpeldor:

Le procès de Trumpeldor

Word of the Day Tov Lamut Be'ad Artzeinu, Haaretz, 2013

 

L’ancienne ambassade de l’Union soviétique

En remontant le boulevard, au n° 46, se trouve l'ancienne ambassade de l'Union soviétique appelée « la maison Levin » ou encore « le château »

Le bâtiment de style néoclassique a été construit en 1924 par l’architecte Yehuda Magidovich (celui qui va également construire la grande synagogue) pour la famille Levin. Le bâtiment a été construit à la manière des maisons de vacances, populaires à la fin du XIXe siècle en Italie, avec quelques influences néoclassiques, principalement dans les détails architecturaux.

Le bâtiment a très vite été surnommé « le château » par les habitants de la ville en raison de ses grandes arches, de sa façade élégante et de sa tour. Lors de la création d’Israël en 1948, l’endroit est devenu l’ambassade de l’Union soviétique. Mais le 9 février 1953, un groupe militant sioniste, pose une bombe sur l'ambassade pour protester contre la persécution des Juifs soviétiques. Il y a quelques blessés et la façade est endommagée.  L'Union soviétique soupçonne que le gouvernement israélien est également à l'origine de l'attaque et les relations diplomatiques sont rompues pendants quelques mois (renouvelées en juillet de la même année après la mort de Staline). Elles seront à nouveau rompues après la guerre de juin 1967. Les liens officiels ne seront pleinement rétablis en 1991 par Gorbatchev.

L'un des éléments les plus frappants du bâtiment est sa tour au toit pointu. Il avait un toit mécanique qui, selon la légende, soit facilitait le transport de gros meubles, soit permettait aux résidents religieux de construire une soucca pendant les vacances des récoltes d'automne.

Le bâtiment a longtemps été négligé et s’es détérioré. En 1995, la propriété a été achetée par le promoteur Akirov, qui a reçu l'autorisation de construire la tour Elrov de 26 étages derrière la maison en échange de sa rénovation. Elle a été revendue 35 m de NIS en 2006 à un philanthrope.

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Le drame de l’Altalena

Ce sont deux événements importants qui vont véritablement marquer l'histoire de la ville de Tel-Aviv en 1948 : la déclaration d'indépendance de l'Etat d'Israël et le drame de l'Atlalena qui s'en est suivi un mois plus tard.

Trois organisations paramilitaires préexistaient à la création de l’Etat d’Israël : la principale : Haganah et deux plus petites et plus radicales : l’Irgoun  Zwaï Leoumi et le Lehi. L’histoire de ces trois organisations paramilitaires est d’une importance capitale pour pouvoir comprendre les fondements de la société israélienne et les grands courants qui vont l’irriguer. La preuve en est par les personnalités qui vont émerger sur le devant de la scène politique: Ben Gourion (chef de la Haganah), Menahem Begin (chef de l’Irgoun) et Itzhak Shamir (chef de Lehi) vont devenir Premier ministre respectivement de 1948 à 1963, de 1977 à 1983 et de 1986 à 1992.

Lors de la guerre d’indépendance, les deux petites factions radicales (Irgoun et Lehi) se rangèrent sous le commandement de la Haganah. Le gouvernement provisoire créa l’Armée de Défense Juive (Tsahal) et déclara toute autre organisation militaire illégale. L’Irgoun dénonça l’armistice et affirma son intention de poursuivre la lutte armée jusqu’à la libération totale de Jérusalem. Bien que Menahem Begin le conteste formellement dans ses Mémoires, ce qui se joue à ce moment c'est le monopole de la force légitime entre la Haganah (avec le Palmach comme unité combattante) et l'Irgoun et une possible guerre civile. Et ce combat entre ces deux factions va trouver son apogée dans la tragique histoire de l'Altalena.

L’Irgoun achemina un bateau avec à son bord 800 immigrants (combattants) mais également des armes et munitions. Le gouvernement provisoire exigea que le bateau fût placé » sous sa seule autorité. L’Irgoun refusa et proposa un compromis qui lui laisserait une partie substantielle de la cargaison. Le point précis de l’accostage était la rue Frischman à Tel-Aviv.

Ce fut alors que Ben Gourion, pour asseoir définitivement l’autorité du gouvernement provisoire (et le monopole des forcées armées) ordonna au Palmach de prendre le bateau par la force avec pour résultat 15 morts et un bateau coulé au large de Tel-Aviv. L'attaque du navire a été immortalisé (l'une des très rares photos de l'événement) par le célèbre photographe Robert Capa.

La guerre civile a été évité de peu. Elle réapparaîtra sous une autre forme lors du coup d'état judiciaire organisé par le gouvernement Netanyahu issu des urnes en 2022. Mais cela, c'est une autre histoire.

Tel-Aviv: son patrimoine en péril !

Des anciens premiers quartiers historiques (construits entre 1887 et 1910) de Tel-Aviv, seuls les quartiers de Neve Zedek et du Kerem HaTeimanim ont été conservés. Il ne reste pas grand-chose des autres, y compris Ahuzat Baït, qui ont presque totalement disparu avec le temps au gré du développement de la ville.

La ville s’est développée pendant très longtemps sans égard à la préservation de son patrimoine. Cet oubli mémoriel s’explique doublement. Premièrement parce que le patrimoine de Tel-Aviv était neuf, contrairement à celui de Jérusalem où chaque pierre raconte une histoire millénaire. Deuxièmement parce qu’il correspondait à l’état d’esprit qui prévalait à l’époque. Israël est un pays jeune. Le premier objectif de la ville était de construire vite (et mal) pour pouvoir accueillir les nouveaux arrivants et se développer rapidement.

Les Israéliens, pragmatiques, se soucient peu du patrimoine. L’exemple le plus édifiant est celui du tout premier lycée hébraïque de l’ère moderne, le Herzliya Gymnasium, construit au début du XXème siècle. Ce bâtiment historique a été rasé dans les années 60 pour y laisser place à un gratte-ciel (la tour Shalom) à l’esthétique plus que douteuse. Idem pour le bâtiment qui abraitait le quartier général de la Haganah (Arlozoroff Street 15) entièrement démoli.

Il aura fallu attendre le début des années quatre-vingts dix pour voir les Israéliens se retourner vers leur passé et se rendre compte de l’intérêt de préserver la mémoire de la ville. C’est dans ce nouvel état d’esprit que doit être comprise l’inscription en 2003 d’une partie du centre historique au patrimoine de l’UNESCO.

On trouve maintenant un peu partout des plaques commémoratives et des bâtiments historiques précieusement préservés. Certains le sont grâce à de curieux marchandages. Tel fût le cas par exemple d’un promoteur immobilier qui s’est engagé à rénover l’ancienne ambassade de l’Union Soviétique moyennant l’accord de la municipalité pour construire un gratte-ciel juste derrière !

Mais se balader dans ses lieux désormais disparus permet, pour celui qui s’y connaît, de trouver encore quelques pépites.

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