Bauhaus, nazis et Tel-Aviv : une histoire surprenante

En rénovant des vieux bâtiments de Tel-Aviv construits dans les années 30, on remarque que pas mal de matériaux de construction, comme le carrelage, le bois ou même le verre, sont estampillés « Made in Germany ». Ce qui est assez surprenant puisque que l’Allemagne était nazie à cette époque.

L’explication se trouve dans un accord passé entre le régime nazi et le mouvement sioniste. Les nazis cherchaient un moyen de se débarrasser à bon compte des Juifs allemands et également de briser le mouvement de boycott mondial à leur encontre. Les sionistes, eux, avaient  pour objectif principal de favoriser l’immigration juive en Palestine et de mobiliser les ressources nécessaires à la réalisation de leur projet de création d’un État juif sur ce territoire.

L'accord Haavara: un pacte avec le diable

Un accord a donc été négocié, notamment par Haïm Arlozorov, alors ministre des Affaires étrangères de facto de l'Agence juive et représentant du parti sioniste Mapaï, avec les autorités nazies. Cet accord a permis aux Juifs allemands de quitter l’Allemagne pour la Palestine, à condition qu'ils vendent au préalable une partie de leurs avoirs (tels que leurs magasins, usines, etc.) aux autorités allemandes. Les fonds générés grâce à ces ventes ont ensuite servi au mouvement sioniste pour l’achat de matériel allemand. Ces biens étaient expédiés en Palestine afin d’y être revendus, le produit de cette revente étant partiellement reversé aux émigrants allemands, tandis qu’une autre partie était conservée par le mouvement sioniste pour contribuer à la construction de l’État juif.

C’est ainsi que des marchandises portant la mention « made in Germany », telles que certains matériaux de construction, ont été utilisées dans les bâtiments de Tel-Aviv.

L'accord connu sous le nom de « Haavara » est resté en vigueur de 1933 à 1939. Il a permis à environ 60 000 Juifs allemands, principalement issus de milieux aisés, d'émigrer. Cette mobilité était conditionnée par la nécessité de disposer de ressources financières suffisantes, exigées tant pour quitter l'Allemagne que pour s'établir en Palestine selon les critères de ressources fixés par les autorités britanniques.

Le sauvetage d'une partie des architectes juifs allemands

Bien que l’accord Haavara ne concerne pas spécifiquement les architectes du Bauhaus, il a indirectement permis à certains d’entre eux, d’émigrer en Palestine et d’y poursuivre leur travail. Cela a contribué à l’essor de l’architecture moderniste à Tel-Aviv, notamment dans le quartier de la Ville blanche, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Un accord controversé

L’accord divisa profondément le mouvement sioniste et les communautés juives de l'époque, en particulier ceux qui soutenaient le boycott complet de l'Allemagne nazie, comme le Congrès Juif Mondial. Les sionistes révisionnistes emmenés par leur chef Zeev Jabotinsky y étaient farouchement opposés. Haïm Arlozorov fût d'ailleurs assassiné sur la plage (près de l’actuel Hilton) à Tel-Aviv le 10 juin 1933, deux jours après son retour d’Allemagne. On a longtemps soupçonné les partisans de Jabotinsky d’être derrière cet assassinat politique. Les auteurs courent toujours.

Cette affaire a été révélée début des années 80. Elle alimente depuis, les théories du complot sur une prétendue collusion entre les sionistes et des nazis.

Pour aller plus loin sur cette histoire suprenante:

Architecture : vous avez dit « Bauhaus »?

Les guides touristiques évoquent fréquemment le “bauhaus” lorsqu’ils abordent l’architecture de la ville de Tel-Aviv. Cependant, une observation attentive montre que la ville ne se limite pas à cette seule désignation de “ville blanche”.

Le tout premier quartier de la ville

Le tout premier quartier, Ahuzat Baït, se veut assez moderne (eau courante, jardin, etc.) avec un projet assez symétrique.

Il se compose d’une grande artère principale, la rue Herzl (du nom du fondateur du projet sioniste) coupées perpendiculairement par 10 rues (dont la rue Rothschild, Lilenblum, Ahad Haam et Yehuda Halevi) avec des lotissements pour 66 familles juives. Les maisons doivent être individuelles, de max. 2 étages et comporter un jardin. On y trouve également le premier lycée hébraïque : Herzliya Gymnasium (ainsi nommé en l’honneur de Théodore Herzl- il est en effet le premier établissement de Palestine où l'enseignement est dispensé en hébreu) qui fût détruit en 1960 pour y laisser la place à la tour Shalom (premier gratte-ciel de Tel-Aviv).

En 1912, il y avait 790 habitants dans ce quartier.

Le développement de la ville (1920 – 1990)

Le quartier Ahuzat Baït qui prend le nom de Tel-Aviv dispose d’un château d’eau (permettant l’eau courante dans les maisons) va très rapidement agglomérer d’autres quartiers naissants.

Sous le mandat britannique (1918-1947), le développement de la ville est confiée à Geddes qui propose un projet inspiré des villes-jardins. De ce plan, on retiendra la multiplicité des espaces verts (parc Meir, etc. en tout une soixantaine), la création de de grandes artères (Dizengof, Rothschild, Ibn Gavriol, etc.) destinées au trafic qui traversent la ville entrecoupées de rues plus résidentielles. Les grandes artères sont reliées entre elles par la création de ronds-points (Kikar Atarim, Kikar Dizengof, Kika Bialik, Kikar Habima, Kikar Rabin) qui deviennent les points de repères de la ville.

C'est de cette époque que datent les premiers immeubles sur pilotis si caractéristiques de la ville de Tel-Aviv. L'idée géniale était de construire des immeubles où le rez-de-chaussée serait un jardin. L'objectif était de verdir la ville tout en faisant circuler l'air à travers les bâtiments et ainsi baisser la températue générale. Pour nous, ce sont ces immeubles typiques qui représentent si bien Tel-Aviv, bien plus que les immeubles bauhaus.

Plan Geddes

Immeuble sur pilotis

Le style bauhaus…

Du Tel-Aviv d’antan on retient bien évidemment ses bâtiments de style Bauhaus peints en blanc (pour refléter le soleil) donnant à Tel-Aviv le surnom de ville blanche. Entre 1930 et 1956 seront construits 4.000 bâtiments de style Bauhaus (création d’édifices rapides et fonctionnels) caractérisés par des toits plats, de petites fenêtres de style "thermomètre" qui filtrent la chaleur et de longs balcons ombragés permettant aux résidents de se rafraîchir. En vue de sa préservation, le centre ville regroupant ces immeubles sera inscrit au patrimoine de l'UNESCO en 2003.

Le Bauhaus Center organise des visites du quartier (+/- 2h) en plusieurs langues, dont le Français.

…mais pas que

Avec les vagues d’immigrations vont arriver des architectes européens qui vont influencer fortement l’architecture de la ville. De petites maisons individuelles au départ, Tel-Aviv va voir la construction de ses bâtiments intégrer différents courants architecturaux en fonction des origines des immigrants et des architectes. Le style architectural de Tel-Aviv est donc beaucoup plus éclectique que l’on ne le pense. Des maisons comme celle de Bialik sont par exemple inspirées du style arabo-turc. Si vous passez au 8 de la rue Nahalat Binyamin, vous pourrez admirer un bâtiment magnifiquement restauré dans le style Art nouveau , avec des ornements décoratifs tels que des balcons en forme de menorah et un long palmier sculpté qui longe la façade. Et puis il y a le très célèbre et incroyable bâtiment "crazy house" (au n° 181 de la rue Hayrakon), véritable œuvre d'art, qui a suscité un véritable scandale lors de son inauguration en 1985

Internationalisation de la ville : 1990 à ce jour

Les accords d’Oslo (1992) seront le point de départ de l’internationalisation du pays et donc également de Tel-Aviv qui en est son épicentre économique et culturel. A partir de cette date, les échanges commerciaux avec l’extérieur vont s’intensifier et faire du pays une nation de premier plan.

La ville de Tel-Aviv bénéficie de cette ouverture et est aujourd’hui pleinement reconnue pour son côté multiculturel, libéral et ouvert sur le monde. Cela va se refléter dans son architecture. Dans les années quatre-vingts dix, la ville amorce un nouveau tournant : elle se densifie et prend de la hauteur (incarné par les tours Yoo de Philippe Stark). De nombreux quartiers sont réhabilités et les anciens bâtiments laissent placent à de grandes tours modernes de sorte que le centre historique se trouve aujourd’hui véritablement encerclé par une ville contemporaine.

L’ancienne ambassade de l’Union soviétique

En remontant le boulevard, au n° 46, se trouve l'ancienne ambassade de l'Union soviétique appelée « la maison Levin » ou encore « le château »

Le bâtiment de style néoclassique a été construit en 1924 par l’architecte Yehuda Magidovich (celui qui va également construire la grande synagogue) pour la famille Levin. Le bâtiment a été construit à la manière des maisons de vacances, populaires à la fin du XIXe siècle en Italie, avec quelques influences néoclassiques, principalement dans les détails architecturaux.

Le bâtiment a très vite été surnommé « le château » par les habitants de la ville en raison de ses grandes arches, de sa façade élégante et de sa tour. Lors de la création d’Israël en 1948, l’endroit est devenu l’ambassade de l’Union soviétique. Mais le 9 février 1953, un groupe militant sioniste, pose une bombe sur l'ambassade pour protester contre la persécution des Juifs soviétiques. Il y a quelques blessés et la façade est endommagée.  L'Union soviétique soupçonne que le gouvernement israélien est également à l'origine de l'attaque et les relations diplomatiques sont rompues pendants quelques mois (renouvelées en juillet de la même année après la mort de Staline). Elles seront à nouveau rompues après la guerre de juin 1967. Les liens officiels ne seront pleinement rétablis en 1991 par Gorbatchev.

L'un des éléments les plus frappants du bâtiment est sa tour au toit pointu. Il avait un toit mécanique qui, selon la légende, soit facilitait le transport de gros meubles, soit permettait aux résidents religieux de construire une soucca pendant les vacances des récoltes d'automne.

Le bâtiment a longtemps été négligé et s’es détérioré. En 1995, la propriété a été achetée par le promoteur Akirov, qui a reçu l'autorisation de construire la tour Elrov de 26 étages derrière la maison en échange de sa rénovation. Elle a été revendue 35 m de NIS en 2006 à un philanthrope.

 

Tel-Aviv: son patrimoine en péril !

Des anciens premiers quartiers historiques (construits entre 1887 et 1910) de Tel-Aviv, seuls les quartiers de Neve Zedek et du Kerem HaTeimanim ont été conservés. Il ne reste pas grand-chose des autres, y compris Ahuzat Baït, qui ont presque totalement disparu avec le temps au gré du développement de la ville.

La ville s’est développée pendant très longtemps sans égard à la préservation de son patrimoine. Cet oubli mémoriel s’explique doublement. Premièrement parce que le patrimoine de Tel-Aviv était neuf, contrairement à celui de Jérusalem où chaque pierre raconte une histoire millénaire. Deuxièmement parce qu’il correspondait à l’état d’esprit qui prévalait à l’époque. Israël est un pays jeune. Le premier objectif de la ville était de construire vite (et mal) pour pouvoir accueillir les nouveaux arrivants et se développer rapidement.

Les Israéliens, pragmatiques, se soucient peu du patrimoine. L’exemple le plus édifiant est celui du tout premier lycée hébraïque de l’ère moderne, le Herzliya Gymnasium, construit au début du XXème siècle. Ce bâtiment historique a été rasé dans les années 60 pour y laisser place à un gratte-ciel (la tour Shalom) à l’esthétique plus que douteuse. Idem pour le bâtiment qui abraitait le quartier général de la Haganah (Arlozoroff Street 15) entièrement démoli.

Il aura fallu attendre le début des années quatre-vingts dix pour voir les Israéliens se retourner vers leur passé et se rendre compte de l’intérêt de préserver la mémoire de la ville. C’est dans ce nouvel état d’esprit que doit être comprise l’inscription en 2003 d’une partie du centre historique au patrimoine de l’UNESCO.

On trouve maintenant un peu partout des plaques commémoratives et des bâtiments historiques précieusement préservés. Certains le sont grâce à de curieux marchandages. Tel fût le cas par exemple d’un promoteur immobilier qui s’est engagé à rénover l’ancienne ambassade de l’Union Soviétique moyennant l’accord de la municipalité pour construire un gratte-ciel juste derrière !

Mais se balader dans ses lieux désormais disparus permet, pour celui qui s’y connaît, de trouver encore quelques pépites.

Histoire de Tel-Aviv : de la Ville Blanche à la start-up Nation

Plongez dans l’âme de Tel-Aviv

Entre ruelles historiques et récits fascinants, laissez-vous guider à travers les trésors cachés de la ville.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Tel-Aviv est une ville assez récente. Elle a vu le jour en 1909, quand un groupe de 66 familles juives a fondé le quartier moderne d’Ahuzat Baït, en bordure de Jaffa. Donc inutile de chercher “Tel-Aviv” dans les récits de l’Antiquité : ce nom n’existait tout simplement pas ! La ville qui a traversé les siècles, c’est Jaffa. Port mythique, cité millénaire, elle a vu passer des civilisations entières bien avant que Tel-Aviv ne soit imaginée.

Tel-Aviv a changé de surnom plusieurs fois au fil de sa (jeune) histoire. D’abord appelée “ville nouvelle”, puis “ville blanche”, et aujourd’hui souvent décrite comme “la ville qui ne dort jamais”, chaque expression raconte quelque chose d’une époque, d’un état d’esprit, d’un moment particulier.

La "ville nouvelle"

L’histoire de nombreuses villes se base sur des mythes fondateurs.  A Tel-Aviv, ce premier moment fondateur est la création d’un tout nouveau quartier juif avec quelques rues en dehors de la ville de Jaffa en 1909 appelé Ahuzat Baït. Ce quartier moderne qui prend le nom de Tel-Aviv un an plus tard va très vite se développer et finir par englober tous les quartiers environnants existants (juifs et arabes) afin d'accueillir l'afflux important de nouveaux immigrants arrivant principalement par voie maritime, ainsi que des membres de la communauté juive quittant la vieille ville de Jaffa à la suite des révoltes arabes survenues entre 1936 et 1939.

Cette appelation de "ville nouvelle", d'une ville moderne créée par des Juifs pour des Juifs fait ainsi écho au projet sioniste dont il est une métaphore.

La "ville blanche"

Dans les années 80, la municipalité commence à prendre en compte son histoire et décide de préserver son patrimoine. Une partie de la ville est inscrite au patrimoine de l’UNESCO. À cette période, la communication officielle change et la ville adopte le nom de ville blanche, en référence à l’architecture bauhaus de certains bâtiments du centre-ville.

La "ville qui ne dort jamais"

Au début des années 1990, Tel-Aviv connaît une expansion internationale significative. La ville s'impose alors comme un centre de l'innovation technologique et acquiert la réputation de « ville qui ne dort jamais » en raison de sa vie nocturne dynamique ainsi que de ses nombreux établissements ouverts jusqu’à tard dans la nuit. Cette image sera officiellement intégrée à la stratégie de communication de la municipalité de Tel-Aviv.

The Bubble

Les surnoms donnés à Tel-Aviv en disent long sur son histoire… et sur ceux qui les utilisent. “Ville nouvelle”, “ville blanche”, “ville qui ne dort jamais” : à chaque époque, son étiquette. Ces expressions ont toutes un sens, un contexte, une époque. Mais aujourd’hui, certaines sonnent un peu daté, d’autres un peu cliché.

Et puis, il y a ceux qui parlent de Tel-Aviv avec des mots qui sonnent juste. Pour nous, s’il n'en fallait en garder qu’un seul, ce serait sans hésiter : “The Bubble”. Véritable îlot libéral et cosmopolite, le regard tourné vers l’occident, Tel-Aviv contraste avec des villes plus conservatrices comme Jérusalem. Les Telaviviens vivent ainsi paisiblement dans leur bulle dans une région, le Moyen-Orient, pourtant réputée pour sa violence.

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